L'école des Scribes
Bonjour Frédéric, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis âgé de 42 ans, marié, 2 enfants et prof de SVT au lycée de l’Europe à Dunkerque. Je suis détaché également pour la DAAC au PLUS (Palais de L’Univers et des Sciences) de Cappelle-La-Grande.
J’ai 2 loisirs principaux : je pratique la course à pied depuis 2000 et je suis fan de tout ce qui touche à l’Egypte ancienne depuis l’âge de 10 ans.
Ce n’est qu’en Juin 2007 que j’ai pris mon courage à deux mains et que j’ai fait l’acquisition d’une grammaire d’égyptien hiéroglyphique. Apprendre en autodidacte a ses limites, alors je me suis inscrit en Septembre 2012 en 1ère année de DUFL (Diplôme Universitaire de Formation en Langues) égyptien hiéroglyphique, une formation en 3 ans dispensée à l’université de Lille 3.
Quel est le principe du projet que tu mènes avec tes élèves de première S, dans quel cadre (club, atelier ?) ? Comment t‘est venue l’idée ?
En Septembre 2009, après avoir constaté que le sujet intéressait les élèves (petit sondage auprès des classes de seconde en Mai 2009 qui montrait qu’une part importante des élèves tenteraient éventuellement l’aventure), j’ai ouvert une première session avec des élèves de Première et Terminale. Après deux années d’étude en solo du moyen égyptien (état de la langue parlée qui correspond à l’égyptien hiéroglyphique), je sentais que j’avais acquis quelques notions suffisamment solides pour initier les élèves. Baptisé « l’Académie des Scribes » (à prononcer « at-séba ny séchou », litt. l’école des scribes), 12 élèves ont suivi les cours de cette première année. Au programme : uniquement de la grammaire du moyen égyptien.
Les années suivantes, des modules se sont rajoutés à l’étude de la grammaire (leçons modifiées chaque année puisque mon niveau évolue), comme par exemple l’entraînement à l’écriture des hiéroglyphes (prononcer médou nétièr, litt. les paroles des dieux), des études de textes comme des inscriptions de tombeaux ou stèles ou des romans comme celui de Sinouhé, une approche de la civilisation et de la culture égyptienne, le jeu de senet, des sorties à Lille à des conférences organisées par l’association Payrus, etc …
Chaque année, les élèves de l’atelier participent aux journées portes ouvertes du lycée en tenant une exposition, en proposant des activités (Quizz concours, écriture des prénoms, tournoi de senet, etc …). Cette année a été particulièrement prolifique puisque un blog a été mis en place (adscribes.blogspot.fr) et qu’une chaîne régionale Opal’TV nous a suivi sur deux journées (la première en atelier, la deuxième au Louvre-Lens) et a réalisé un reportage diffusé dans l’émission Tous Opale du 14 Mars 2013.
Bien sûr, cet atelier s’inscrit pleinement dans l’effort mené dans l’établissement pour faire participer les élèves dans les actions culturelles.
Quels sont les avantages pédagogiques et relationnels de ton projet ? Perçois-tu tes élèves différemment ? Constates-tu un impact sur tes cours de SVT ?
Il est vrai que la relation n’est pas la même qu’en classe. Déjà, travailler avec 8 élèves, quel bonheur ! Et puis ce n’est pas vraiment un cours, on est tous détendus, volontaires, souvent c’est l’heure du repas (emploi du temps chargé oblige !) que l’on prend ensemble en classe en travaillant, l’atmosphère est très détendue mais aussi très studieuse. Cette année, 75% des élèves que j’ai dans l’atelier, ne sont pas des élèves que j’ai en classe. Pour les 25% restant, il est évident que j’ai une relation privilégiée, et quand je les retrouve en cours de SVT, je décrypte bien mieux leurs attitudes que les autres. En tout cas, ce que je retiens de cet atelier, c’est qu’il faut que j’apprenne à m’effacer pour laisser plus d’autonomie aux élèves, et surtout que j’apprenne à leur faire confiance quand ils ont des idées, à leur laisser les rênes en quelque sorte, pas toujours facile …
Comment as-tu réussi à persuader tes élèves ? Etaient-ils tous volontaires au départ ? Y avait-il des réticents ?
En fait, au départ je n’ai pas annoncé le projet de but en blanc. J’ai provoqué leur intérêt en collant ici et là dans l’établissement des feuilles A4 avec des photos égyptiennes sympas, des textes hiéroglyphiques simples, suivis quelques jours plus tard de leur traduction. Après deux ou trois semaines d’imprégnation, je suis passé dans toutes les classes pour présenter le projet et rechercher des volontaires. En début d’année j’en ai environ 15, ce qui est un maximum pour ce type d’atelier. D’autres ne peuvent pas s’inscrire pour des incompatibilités d’emploi du temps, sinon je tournerai à environ 25 volontaires au départ.
Les élèves inscrits sont tous attirés à des degrés variables par l’égypte. Certains s’interrogent simplement sur le mode de vie de ce peuple batisseur, y trouvant certainement une forme d’exotisme, d’autres sont curieux de ce que peuvent bien vouloir dire ces signes, certains sont simplement curieux, mais tous se souviennent de leurs cours de sixième en histoire sur l’Egypte.
Au bout de 5 ou 6 séances, il me reste 50% de l’effectif, assidu et motivé. Ceux qui abandonnent sont certainement découragés par l’abondance des signes, par la grammaire qui est proche de l’arabe classique et non de nos langues occidentales. Cette année, j’ai 8 survivants très motivés, un vrai régal !
Ton projet permet-il de travailler des compétences transversales particulières qu’il est difficile d’aborder autrement ?
Les scribes sont animés d’un véritable esprit d’équipe, il forment un groupe soudé et s’entraident beaucoup lors des séances, et ceci sans compétition. Ils satisfont leur curiosité et font preuve d’esprit d’intiative notamment lors de l’élaboration de l’exposition des journées portes ouvertes du lycée. Ils sont vraiment contents d’être présents aux séances et leur enthousiasme n’est pas feint.
La grammaire égyptienne nécessite une bonne dose d’esprit analytique pour des raisons que je ne peux pas développer dans un article court, il faut souvent poser des hypothèses, tenir compte du contexte, pour mettre à l’essai des traductions et en examiner la pertinence. L’exploitation de l’information est donc très rigoureuse et disposer d’un esprit critique s’avère nécessaire. Quand on pense qu’aujourd’hui encore, presque 200 ans après le décodage des hiéroglyphes par Champollion (Cocorico ! désolé messieurs les anglais …) des égyptologues ne sont pas d’accord sur la traduction exacte de certaines inscriptions, même s’ils sont d’accord sur le sens à y apporter.
Ecrire les hiéroglyphes peut s’avérer fastidieux, heureusement des logiciels gratuits comme Jsesh permettent d’écrire des phrases en hiéroglyphes et de réaliser des communications de qualité.
Faire participer les élèves à l’écriture du blog dans un souci de communication est une autre compétence intéressante développée dans l’atelier.
S’exprimer à l’oral devant ses camarades ou devant une caméra, leur permet d’acquérir de l’aisance à l’oral, important quand c’est l’année où l’on passe les TPE …
Etc … !
Le musée du Louvre-Lens est-il, selon toi, une ressource pédagogique précieuse pour l’enseignement des SVT ?
Le musée du Louvre-Lens est une chance pour notre atelier, mais je pense qu’au niveau scientifique son exploitation est tout à fait intéressante. Si je ne parle que de la partie égyptienne, quelques exemples :
- Le zodiaque de Denderah, œuvre magnifique qui orne le plafond du temple d’Hathor, peut être daté grâce aux deux éclipses qui y sont représentées et la position des planètes dans les constellations.
- La géologie, prenez le vizir Neferkarê Iimérou en grès, la déesse Sekhmet en diorite, la statue cube en calcaire : l’occasion d’identifier ces roches, de rechercher leurs gisements, le contexte géologique de leur formation, etc …
- La fresque avec la fabrication de la hénéqèt nyt oupet rénépèt (bière du nouvel an), nous permet d’aborder les fermentations.
- Les hiéroglyphes eux-mêmes, reflet de la nature qui entourait les égyptiens, nous renseignent sur l’évolution de la faune et de la flore depuis cette époque et donc sur l’évolution climatique. Il en est de même du socle de la dame touy, en grenadille et bois de karité, bois que l’on ne trouve plus aujourd’hui en Egypte mais plus au Sud …
- Il n’y a pas encore de papyrus médicaux, j’espère qu’en 2014, au moins un sera exposé, occasion d’aborder la physiologie.
- La momification apporte des informations sur leurs connaissances du corps humain, et les IRM des momies sur les pathologies touchant les personnes aisées et bien nourries de cette époque (30% des momies montrent des signes d’athérosclérose, calcification des artères ; fractures diverses, tumeurs, etc …)
- etc …
Penses-tu faire évoluer ton projet l’année prochaine ?
Le trait d’union Histoire-SVT représentera 30 % des séances. Les points évoqués ci-dessus seront abordés en atelier, et bien d’autres. Une façon de faire de la SVT dans l’Académie des Scribes …
J’aimerai aussi me créer une petite banque de situations avec des exemples égyptiens que je pourrai utiliser en cours de SVT. Une façon de faire entrer l’Académie des Scribes en SVT … Un gros boulot que je construirai petit à petit.
Enfin, à titre personnel, j’ai fait cette année des conférences au lycée sur la vie quotidienne en Egypte, cela pourrait intéresser des collèges, si il y a des profs d’histoire qui lisent ce post …
Et puis, mes cours à la FAC continuent, quand j’aurai décroché dans deux ans mon DUFL, j’ai d’autres projets en tête …
Frédéric Blasselle
Merci Frédéric
(Interview par Grégory Michnik)