La collection Ekphrasis : une ressource pour l'Histoire des Arts
Dominique Tourte et les éditions Invenit ont en cela d’exceptionnels qu’ils sont à la fois à la recherche de la qualité dans un bel objet livre qui nous enlève de la quotidienneté du monde, un livre objet pour tous, à un prix abordable et une qualité irréprochable dans le fond comme la forme. Les dix-huit premiers* étaient avec un cercle central, focalisant un détail de l’œuvre interprétée par un écrivain, poète, ou les deux à la fois. Ce cercle central, c’est le bouclier d’Achille, l’exphrasis de l’Iliade d’Homère. Le rabat où se trouve l’œuvre d’un musée du Nord-Pas-de-Calais est en dialogue constant avec l’interprétation par la typographie, la graphie d’un écrivain de renom qui, l’espace d’un instant, nous prend par la main et les sens pour nous emmener vers des univers totalement différents dans le style et en communion avec l’œuvre proposée qui n’est jamais trahie, parfois interprétée, parfois révélée dans ses détails infinis que l’on retrouve dans les pages de ces petits chef d’œuvres d’ouvrages.
« Le Dialogue avec Rothko » de Carolyn Carlson et « Boilly en trompe l’œil » de Jacques Jouet sont donc différents : le cercle n’est plus un trou dans la première de couverture mais un cercle éblouissant et brillant comme un bouclier de soleil où se trouve Auteur et Titre, l’œuvre d’art étant d’une matité de contraste sur un papier qui tiendra sans doute plus dans le temps que la précédente série. Pour le reste, hormis une forme plus longue et étroite, agréable à l’œil, c’est la qualité d’un papier au grammage délicat, un beau dialogue du toucher avec l’œuvre en voisinage, une élégante typographie qui donne à la lecture ce moment de grâce exceptionnel.
Deux petits bijoux, qui, l’un membre de l’Oulipo, l’autre chorégraphe contemporaine, l’une et l’autre donc, relancent la collection vers d’autres voies tout en étant d’une même voix poétique. Sortir du cercle d’abord par le choix d’une œuvre d’une exposition temporaire du Palais des Beaux-arts de Lille consacrée de belle façon par jacques Jouet dans ce « trompe l’œil aux pièces de monnaie (1808-1814) » l’autre, une toile de Mark Rothko de 1964 « Untitled,( Black, Red over Black on Red )» du musée national d’art moderne du centre Georges Pompidou de Paris où Carolyn Carlson explore le sensible : la chorégraphe danse avec la plume dans un texte poétique magnifique et envoutant imitant sa « poésie visuelle ». Le Carolyn Carlson des éditions Invenit est, de plus, en deux versions en une page de gauche en américain et page de droite la traduction de Jean-Pierre Siméon ce qui est en soit un magnifique jeu de regards croisés entre rabats et pages où nous passons de l’œuvre de Mark Rothko à l’essence même de l’interprétation par Carolyn Carlson et sa fidèle traduction, sorte de mutations symboliques d’une œuvre en textes inspirés, une remarquable fusion de l’œuvre dans le fond comme dans la forme qui n’est pas étranger à la pétillante ironie de Jacques Jouet qui se joue du support avec ce trompe l’œil de Boilly. Si l’une s’adresse à l’émotion contenue ou, au contraire, déclamée pour la toile de Rothko, l’autre s’amuse avec le lecteur qui, au départ, décontenancé par le cheminement proposé, se rend compte par l’attention que ce qu’il a lu n’est pas ce qu’il a vu et que le globe oculaire est loin de son intellect ! Jouet s’amuse à déjouer les pièges de la perspective pour notre plus grand plaisir.
En fin d’année Invenit et l’infatigable Dominique Tourte vont nous convier dans la patrie des sang et or à d’autres découvertes magnifiques comme des petites pyramides de perfection dans une collection pavillon de lumière d’une passion : celle de faire partager au plus grand nombre l’amour conjugué de l’Art, la Littérature et la Poésie dans un chef d’œuvre digne des compagnons du temps jadis : l’objet livre fait sens parce qu’il est rare par sa qualité et offert pour tous en partage. Longue vie à la collection Exphrasis des éditions régionales Invenit !