Un essai sur la lecture littéraire
Pourquoi lire et que lire ? L’enseignement de la lecture doit-il d’abord servir à transmettre des savoirs culturels, à inculquer un savoir-faire ou à s’approprier des compétences ? Faut-il privilégier la lecture des textes littéraires ou celle des textes utilitaires, et des distinctions aussi nettes sont-elles toujours judicieuses ? Parmi les textes littéraires, lesquels faut-il enseigner, et dans quel ordre, selon quelle logique ? Les questions abordées dans cet ouvrage concernent notre pratique quotidienne de la classe dans ce qu’elle a de plus fondamentale. La force des auteurs est de parvenir à présenter les acquis récents de la recherche en linguistique et dans le domaine des études littéraires en en dégageant les enjeux didactiques et en proposant des pistes de travail concrètes pour la classe.
Une première partie est consacrée à l’évolution des discours de l’école sur la lecture et la littérature : une cinquantaine de pages qui rappellent que si la littérature a toujours occupé une place privilégiée dans l’enseignement du français, ses finalités ont beaucoup évolué entre moyen d’émancipation ou support d’acquisition de compétences. Dans un style alerte qui rend leur propos accessible aux non-spécialistes, les auteurs s’attachent alors à présenter les théories récentes sur la lecture, la littérature, les outils et les processus de lecture qui mettent l’accent sur le rôle essentiel du lecteur. « Il apparaît dès lors qu’enseigner la littérature devrait consister à enseigner non plus seulement des oeuvres, mais aussi et peut-être d’abord une manière de lire : il s’agirait de passer d’une conception statique de la littérature à une conception dynamique ».
L’objet de la troisième partie de l’ouvrage est alors d’articuler ces recherches à la pratique de la classe. Cette réflexion didactique est particulièrement stimulante. Après avoir rappelé les enjeux passionnels et rationnels de la lecture, identifié les différentes difficultés que rencontrent nos élèves (culturelles mais aussi techniques et pédagogiques), les auteurs énoncent cinq « mises au point » qui peuvent guider la pratique de l’enseignant : la lecture littéraire ne se réduit pas à la distanciation ; elle ne se réduit pas plus au plaisir ; elle est imbriquée à la lecture fonctionnelle, complémentaire de la réception audiovisuelle et ne se limite pas à la lecture des textes littéraires.
Les auteurs concluent cette partie théorique en rappelant avec force que la lecture littéraire est le support privilégié de la formation humaniste : « la lecture dont nous voudrions promouvoir l’enseignement n’est pas la maîtrise d’une culture de classe réservée aux élites, ni l’acquisition d’un savoir de type utilitaire, ni l’initiation à nous ne savons quelle conception étriquée de la vérité du texte ; il s’agit bien plutôt d’un jeu, d’une « activité transitionnelle d’expérimentation simulée », qui se trouve aussi être un art de faire émancipateur et la voie d’accès privilégiée à la sapienta, à la fois savoir, sagesse et saveur. »
La quatrième et dernière partie, qui occupe la moitié du volume, développe une série de propositions méthodologiques concernant l’enseignement de la lecture littéraire dans nos classes. Prendre en compte les lectures réelles et les représentations des élèves avec un roman de Luis Sepulveda, favoriser l’appropriation vocale et imaginaire des textes, initier au jeu des hypothèses en usant de la technique du dévoilement progressif de textes étonnants, faire percevoir la diversité des niveaux de lecture à travers une lecture analytique de L’invitation au voyage de Baudelaire, apprendre à repérer les genres et les stéréotypes en confrontant Tardieu, Labiche et Beckett…
Impossible de citer ici toutes les pistes explorées tant elles sont riches et nombreuses. En refermant ce livre ambitieux, on a hâte d’inventer de nouvelles séquences, d’essayer une fois encore d’amener nos élèves à la lecture littéraire tant l’enthousiasme exigeant des auteurs est contagieux.
Niveaux concernés. Pour le professeur
