Le corps combattant
Le XXe et le début du XXIe siècle sont marqués par la guerre : deux vastes guerres mondiales ; un conflit idéologique massif entre deux blocs, ponctué par des crises dont l’issue locale fut souvent militaire ; des guerres régionales générées par la décolonisation ou la redéfinition des frontières et des identités nationales ; une activité terroriste diffuse qui prend après le 11 septembre 2001 la dimension d’une guerre planétaire.
Le corps combattant a été impacté par cette activité guerrière multiple et quasi continue. Corps souffrant et émetteur de souffrances, corps à la fois douloureux et métamorphosé par le combat, « corps-plaie » devenu dans certains cas « corps-arme ». L’art, la littérature ou le cinéma n’ont pas manqué de rendre compte de cet impact et de ces transformations. Sous le regard des créateurs, le corps combattant est devenu le miroir privilégié des transformations des tactiques et des stratégies militaires. Quel rapport, en effet, entre un « poilu » prostré dans sa tranchée à Verdun et l’expert en renseignement américain parti sur les traces de réseaux terroristes islamistes au Moyen-Orient ? Quel point commun entre le marine investissant la plage d’Iwo Jima et le kamikaze islamiste près à se suicider en pleine ville ? De la guerre classique, avec ses fronts localisables sur des cartes, ses mondes militaires et civils bien cloisonnés, on est progressivement passé à des conflits dans lesquels le statut du combattant se brouille. Devenu une cible privilégiée (la Deuxième Guerre mondiale) puis permanente (le War on Terror), le civil peut à son tour endosser la charge du combat. Dès lors, le corps du combattant abandonne l’uniforme pour endosser les habits du résistant ou du terroriste. L’étude de l’utilisation du corps par l’armée permet en outre d’entrevoir les nombreuses évolutions de l’ « art de la guerre » depuis 1914 : sécuriser une position n’a pas le même sens dans le no man’s land européen de la Grande Guerre et dans les métropoles moyen-orientales du début du XXIe siècle. Du corps pensé comme une inépuisable « chaire à canon » au corps vigilant augmenté par la technologie, la place et le rôle du soldat ont beaucoup évolué en un siècle.
Dans sa souffrance comme dans sa gloire, le corps combattant est également devenu le support des idéologies qui animent les conflits. De la souffrance patriotique à la mémoire douloureuse, les deux guerres mondiales ou certaines guerres régionales engendrées par la Guerre froide (la Guerre de Corée, la Guerre du Vietnam) ont fait du corps du soldat un enjeu politique. La propagande d’état instrumentalise et glorifie l’uniforme à travers des œuvres de commande. Mais en réaction, des points de vue artistiques contraires se sont développés, violemment opposés à cette instrumentalisation institutionnelle, des croquis de soldats-artistes de la Grande Guerre à la littérature d’anciens combattants en passant par les caricatures de presse. Actuellement, les conflits contemporains, surtout menés par les Etats-Unis, suscitent des critiques artistiques immédiates, fortes ou plus nuancées. Dans ces œuvres récentes, le corps combattant devient un outil privilégié de dénonciation du bien-fondé éthique ou stratégique d’une guerre (les guerres en Irak ou en Afghanistan) et le reflet des ambigüités morales du monde occidental à l’égard d’un certain Islam. Dans les films de guerre historiques actuels, produits par des cinématographiques dominantes (Hollywood, la France) ou émergentes (la Corée du Sud), les cinéastes savent conjuguer la véracité matérielle du conflit qu’ils mettent en scène avec un discours à la fois critique et douloureux sur sa cruauté et son absurdité.
De fait, l’étude de la représentation du corps combattant depuis 1914 permet de suivre l’important paradigme que la représentation artistique de la guerre a connu au XXe siècle. Face à une guerre industrielle aux proportions géographiques de plus en plus amples, les artistes se sont accrochés au corps combattant, c'est-à-dire à une expérience individuelle du combat, pour mieux décrire et comprendre le déroulement et les effets d’un conflit donné. Dans ce cadre, la peinture et le dessin ont peu à peu cédé la place à la photographie et, surtout au cinéma. Pour le grand public, l’instantanéité et le spectaculaire de la violence de guerre ont été rendus avec plus de force, d’immédiateté et d’intelligibilité en vingt-quatre images par seconde. Intime ou nationale, la mémoire combattante a été portée par la statuaire (les mausolées, les monuments aux morts), la peinture (des derniers peintres d’Histoire au militantisme d’un Picasso) ou la littérature (mémoires d’écrivains combattants, réinvention d’une guerre par des écrivains investis dans les questions de mémoire et les recherches historiques les plus pointues du moment). Aujourd’hui, les œuvres audiovisuelles contemporaines (cinéma et télévision) intègrent bien la question de la mémoire combattante tout en aiguisant un regard critique sur le passé et le présent de la guerre.
Le présent dossier articule ces diverses réflexions historiques et artistiques autour de deux propositions pédagogiques :
-des parcours pluridisciplinaires sur le thème du corps combattant durant les deux guerres mondiales, dans lesquels l’Histoire ne serait qu’un maillon parmi d’autres matières au sein d’une progression collective assurée par l’équipe éducative en entier ;
-des propositions de cours d’Histoire des arts réalisées en Histoire, à partir desquelles d’autres matières pourraient venir se greffer.
Dans la première proposition, l’étude du corps combattant cassé par la Grande Guerre ou du corps combattant souffrant mais glorifié durant la Deuxième Guerre mondiale ne donneront pas lieu à des propositions didactiques précises. La deuxième proposition, bâtie sur l’étude du film sud-coréen Deux frères (2004) et un parcours dans le Kourgane Mamaïev de Volgograd, offrira des pistes didactiques plus précises. En guise de conclusion et d’ouverture à d’autres matières ou d’autres niveaux scolaires, le dossier propose une petite étude sur la manière dont le corps combattant est représenté aujourd’hui, notamment dans les œuvres cinématographiques et audiovisuelles abordant la guerre contre le terrorisme.
Le corps souffrant du combattant français et allemand de la Première Guerre mondiale
Le corps du soldat à travers les deux guerres mondiales
La bataille de Stalingrad comme un exemple de la guerre d'anéantissement
Le corps combattant dans les guerres contemporaines : le cinéma et la Guerre contre le terrorisme