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Le corps souffrant du combattant français et allemand de la Première Guerre mondiale

 

Le corps souffrant du combattant français et allemand de la Première Guerre mondiale : douleur personnelle et lieu de mémoire intime.

1-la souffrance du corps combattant, sujet inédit et fécond  pour les artistes du XXe siècle.

La violence de masse engendrée par le premier conflit mondial est le produit d’une guerre industrielle inédite, à la longueur inhabituelle. Sa mise en valeur par l’art correspond à un moment particulier de l’expression personnel des individus au début du XXe siècle. En littérature, un nouveau genre romanesque a été créé par des milliers de soldats lettrés, ou du moins alphabétisés, qui ont combattu dans les tranchées européennes. Détenteurs d’une culture scolaire dispensée par la plupart des états belligérants à une population sans cesse élargie depuis plusieurs décennies, ces « combattants  écrivants », à la fois acteurs et témoins des combats en cours, ont produit une masse considérable de témoignages. Certains d’entre eux, par la puissance de leur style et de leur vision, se sont hissés au rang de « combattants écrivains », transformant un témoignage subjectif pris sur le vif ou des souvenirs personnels rédigés après coup, en œuvre d’art à la portée universelle. De Dorgelès à Remarque, de Céline à Barbusse, la liste de ces auteurs serait trop longue à citer.  Plus que le rappel des tactiques en cours ou des conditions de vie dans les tranchées, la description du corps combattant souffrant, au physique comme au moral, constitue le principal sujet de ce nouveau genre littéraire. Avec le temps, le corps souffrant du combattant est devenu un lieu commun romanesque, point de départ d’une production abondante, portée par de nouvelles générations d’écrivains nés bien après les événements de 1914-1918, influencés par des travaux historiques autant que par une mémoire transmise par les familles ou les lieux. Cette littérature de mémoire a tantôt accompagné, tantôt devancé de nouveaux champs de recherchées historiographiques. Avec Des champs d’honneur (1990), Jean Rouaud a anticipé la question du deuil familial et personnel en temps de guerre, question dont les historiens de l’école de Péronne se sont emparés par la suite. Plus récemment, avec 14 (2012), Jean Echenoz a transposé dans la forme courte du roman historique dont il est devenu coutumier les analyses universitaires actuelles sur la notion de Guerre totale, au risque d’intellectualiser à l’accès son propos. Dans le beau les Grands Jours (2012), Pierre Mari fait entrer le lecteur contemporain dans la bataille de Verdun en décrivant l’effet inédit qu’un tir d’obus peut avoir sur un corps : tremblements des membres face à un fouaillement de la terre aux proportions inhumaines ; terreur physique devant le risque d’écroulement des abris ou la perspective d’une fragmentation du corps ; hébétude produite par le rythme industriel des tirs d’artillerie. En art, le « silence des peintres » décrit par Philippe Dagen, à savoir cette incapacité des peintres du début du XXe siècle à saisir les spécificités d’une guerre nouvelle qui ne correspond à rien de ce que la peinture d’Histoire et la peinture militaire ont représenté au XIXe siècle, n’a peut-être pas été complet. Malgré la censure picturale ou photographique pratiquée par les armées et les états dans les deux camps, des soldats ont croqué pour eux-mêmes les effets de la guerre sur leurs frères d’armes, tout en inventant de nouveaux effets stylistiques en quelques coups de crayons, adaptés à une nouvelle esthétique de la guerre : corps cubiques des soldats robots de Léger, corps explosés ou putréfiés des soldats de Dix.   

Le cinéma n’a amorcé cette description du corps souffrant qu’au tournant du XXIe siècle, dans des œuvres adaptées de grands succès littéraires contemporains (Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet tiré du roman de Sébastien Japrisot ou la Chambre des officiers de François Dupeyron adaptée du roman de Marc Dugain) ou réalisées par des cinéastes soucieux de travailler l’Histoire et la mémoire des guerres françaises du XXe siècle à l’écran ( (La vie et rien d’autre et Capitaine Conan de Bertrand Tavernier).

2-De la douleur physique à la mémoire, le corps souffrant du combattant : proposition d’un parcours pédagogique pluridisciplinaire.

a-Le corps explosé par l’image et le texte en Histoire et en Français.

Le parcours pédagogique proposé ici prend en compte ces différentes formes artistiques et leurs évolutions respectives au sein d’une thématique  commune : la représentation du corps combattant souffrant, mort ou survivant. Il tend aussi à respecter, autant que faire ce peut, les exigences des autres matières conviées à l’étude. Cette dernière commence par une ou plusieurs images de corps combattants souffrants sur le front. Si, à l’Ouest, les peintres de guerre ont globalement échoué à représenter les nouveaux contours stratégiques d’une guerre étalée sur un front de plus de 500 km, nombres d’artistes-combattants ou de témoins ont su saisir l’effet de la violence de masse sur le corps des soldats, de manière plus convaincante que la photographie, pour sa part bridée par la censure et certaines limites techniques (encombrement des appareils massifs). Deux types d’œuvres émergent sous forme de croquis ou de dessins :

-les œuvres décrivant la brutalité d’une explosion d’obus sur un organisme humain. La Brèche (1915) du Français Georges Scott joue sur les effets de lumière d’une attaque nocturne et les effets cinétiques d’une action en cours saisie en image fixe. Héritier d’une peinture de guerre académique, journaliste de guerre (notamment pour l’Illustration), Scott se cantonne ici à une approche classique. Mais son œuvre détaille très bien l’effet de souffle, la désintégration des corps et la sidération des observateurs proches. En 1915, si la violence de guerre tend à transformer le corps du soldat individué en matière organique anonyme, Scott prend encore la peine de saisir le réalisme des traits des témoins et des victimes de l’explosion. De manière plus abstraite et audacieuse, l’Allemand Otto Dix croque dans Explosion (1918) la confusion de corps indifférenciés (combattants d’un même camp ou adversaires ?), démantibulés comme des pantins par un effet de souffle dont la violence abolit tous repères spatiaux (le dessin peut être observé dans tous les sens).  Ici, la violence de la guerre moderne et ses effets sont rendus par l’utilisation de méthodes graphiques guère éloignées de celles employées par les futuristes italiens.    

L’étude conjointe de ces deux œuvres permet d’introduire en classe les notions de violence de masse (nombre des soldats, raison de l’utilisation des obus, industrialisation des armes) et d’aborder certains aspects de la guerre totale, notamment le rapport entre le témoignage intime et la censure officielle de l’information et des images. A l’évidence, ces deux œuvres graphiques ne peuvent suffire à elles seules de support d’étude et nécessitent l’emploi d’autres documents dans le cadre du cours d’Histoire (partie II – thème 1 : la Première Guerre mondiale : vers une guerre totale).

En Français, il est possible de lire et d’analyser des extraits de romans de guerre issus de l’expérience combattante ou initiés par des écrivains plus contemporains travaillés par les questions de mémoire. Ici, la sublimation par la littérature de l’expérience vécue (par exemple chez Céline dans Voyage au bout de la nuit) ou de la documentation historique (dans Des champs d’honneur de Jean Rouault) est à opposer au témoignage brut du soldat, plus soucieux d’information factuelle que de style. L’élève peut dès lors entrevoir la différence entre un chroniqueur, un historien et un écrivain. Il peut comprendre comment la littérature est capable de prendre en compte l’Histoire du XXe siècle. Il peut surtout percevoir la manière dont la littérature est, par la simple force du style, un puissant vecteur de connaissance historique (M. Winock).

b-Le corps cassé en Français, Histoire et Arts plastiques : de la blessure personnelle aux stigmates de l’après-guerre.   

Dans l’étude des images animées que le professeur de Français peut mener, notamment en envisageant les rapports entre œuvres littéraires et adaptations cinématographiques, plusieurs romans et films récents liés au mouvement de remémoration de la douleur combattante subie lors de la Grande Guerre sont à envisager. La Chambre des officiers de Marc Dugain (1998) et son adaptation sur grand écran réalisée par François Dupeyron (2001) offrent un bel exemple d’étude comparée, notamment dans le rapport de la gueule cassée à sa propre image. Les points de vue littéraire (évoquer le visage souffrant sans description littéraire exhaustive mais seulement à travers la réaction des protagonistes secondaires, familiers ou soignants), cinématographique (la découverte progressive du visage ravagé du héros au fil des opérations chirurgicales, aux yeux du public de cinéma comme aux siens propres) et historique (la relativité du regard des civils face au spectacle de la gueule cassée, la transformation d’une laideur objective en marque de fierté patriotique, le passage de la pitié des proches à la compassion, puis à l’amour) se confrontent et se répondent de manière féconde.               

En Arts plastiques, le professeur est invité à étudier avec les élèves une œuvre d’art en prenant en compte le contexte de sa création, les raisons qui ont conduit l’auteur à l’entreprendre et sa réception par le public de son temps. Dans cette optique, l’analyse d’une toile aussi célèbre que Rue de Prague d’Otto Dix (1920) est intéressante. Le regard goguenard et désenchanté de l’artiste ancien combattant dépasse la stricte anecdote rapportée sur la toile. Derrière les corps cassés par la guerre devenus mendiants ou activistes d’extrême-droite, se profile une description radicale de l’Allemagne de l’après-guerre, mortifiée par les conséquences du  traité de Versailles, travaillée par une crise politique, économique et morale profondes. L’accueil du public, mi-offusqué, mi-fascinée, précède le rejet radical dont Otto Dix sera l’objet au lendemain de l’arrivée des nazis au pouvoir, présenté comme le parangon de la faillite morale de l’Allemagne et comme un des fers de lance de l’« art dégénéré ». Pour l’artiste comme pour la plupart de ses collègues, les innovations picturales entreprises à la faveur de la Première Guerre mondiale prennent fin au début des années 1930. 

En conclusion, le professeur d’Histoire-Géographie peut refermer cette étude croisée avec Défilé des mutilés, 14 juillet 1919 de Jean Galtier-Boissière, ancien combattant, polémiste, fondateur du Crapouillot, dessinateur et peintre à ses heures. Dans le cadre du thème 1 de la dernière partie du programme de 3e (la République de l’entre-deux guerres), cette représentation drolatique et pathétique des gueules cassées et des blessés de guerre défilant sur les Champs Elysées permet d’évoquer la victoire française de 1918, le patriotisme d’une grande partie de l’opinion publique, le triomphe du Congrès de Versailles et les dernières illusions de l’Union sacrée, notamment par contraste avec les premiers signes de contestation issus de la Gauche ouvrière (manifestation syndicale du 1er mai 1919). Elle introduit surtout l’idée d’une mémoire nationale naissante mêlant l’idéalisation du poilu martyr, la douleur des souvenirs de combats et la célébration de la patrie victorieuse.  

A travers ce parcours pédagogique, l’œuvre d’art, dans sa dimension picturale, littéraire ou cinématographique, permet d’utiliser la représentation du corps souffrante du soldat de la Grande Guerre en tant qu’entrée (Histoire-Géographie) ou objet d’étude  en soi (Français, Arts plastiques). 

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